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Tribune de Nicolas Rieul : “Il reste beaucoup de chemin à parcourir à Apple pour cesser toute pratique anticoncurrentielle”
Nicolas Rieul, président de l’IAB France, vice-président de La Mobile marketing association France (MMAF), et membre d’un collectif d’associations du numérique (MMAF, Udecam, SRI) qui poursuit Apple devant l’Autorité de la concurrence, se félicite de voir l’entreprise appliquer la réglementation européenne sur la protection des données personnelles lors de mise à jour d'iOS15, mais appelle les acteurs du numérique à ne pas s’en contenter : il estime que cette évolution ne résout pas la distorsion de concurrence imposée par Apple.
La version bêta d’iOS 15, lancée cet été, a réservé une grande surprise à tous les acteurs du digital : Apple qui pendant des années s’est refusé à respecter la loi sur la protection des données personnelles a fait volte-face et demande désormais aux utilisateurs d’iPhone leur consentement préalable à la publicité personnalisée.
S’il est bien évidemment positif de voir Apple s’astreindre aux mêmes règles que le reste du secteur sur le terrain de la protection des données personnelles, il est important de ne pas se tromper dans l’analyse à tirer de ce revirement : Apple ne fait qu’enfin appliquer une loi que tous les médias français respectent depuis longtemps. Ce n’est donc qu’une première étape et non la fin de l’histoire.
Ce n’est qu’une étape parce que nous ne pouvons nous réjouir raisonnablement de voir une entreprise, qui se dit championne du respect de la vie privée et qui touche des millions d’européens, s’employer à respecter la directive européenne ePrivacy plus d’une décennie après son entrée en vigueur. Ce serait déplacé quand on connait les efforts qui ont été consentis par les acteurs de notre industrie, petits et grands, pour respecter avec diligence la réglementation européenne.
Ce revirement récent d’Apple sonne comme un aveu de culpabilité qui permet un retour à une situation où la loi s’impose à l’entreprise et non l’inverse. C’est ainsi que nous devons le considérer et ne surtout pas tomber dans le piège qui consisterait à applaudir de façon candide la décision d’Apple. Il ne fait d’ailleurs peu de doute que la Cnil devrait sanctionner cette infraction à la suite de la plainte de France Digitale déposée en mars.
Ce n’est qu’une étape parce que les pratiques anticoncurrentielles d’Apple sur le marché du numérique n’ont pas disparu avec l’arrivée d’iOS 15 et de la nouvelle fenêtre de consentement à la publicité personnalisée. Le déploiement de l’App tracking transparency (ATT) contre lequel l’IAB France, La Mobile Marketing Association, l’Udecam et le SRI ont porté plainte auprès de l’Autorité de la concurrence continue de déployer ses effets anticoncurrentiels et notamment de favoriser les activités publicitaires d’Apple au détriment du reste de l’écosystème (“self preferencing”).
Une différence de traitement dans l’information transmise aux internautes
Jusqu’ici, Apple ne présentait aucune fenêtre à ses utilisateurs quand tous les autres devaient en présenter deux : l’ATT et la CMP (consent management platform) relative au respect de la réglementation européenne. Aujourd’hui, Apple en présente donc une seule quand le reste des éditeurs d’applications européens continuent de devoir en afficher deux ; une pour se conformer aux guidelines de l’App Store, l’autre pour respecter la législation européenne. D’ailleurs, il est amusant de constater la différence entre la nouvelle interface de la fenêtre d’Apple et celle de l’ATT que l’entreprise impose au reste du monde.
L’interface Apple présente un design rassurant, agrémenté d’un long texte permettant d’expliquer les bénéfices de la publicité personnalisée pour les utilisateurs. Elle propose également un lien pour obtenir des informations complémentaires (photo de gauche). De l’autre côté, l’interface ATT, imposée à tous les autres acteurs et qui ne peut être que très peu modifiée, repose sur un message succinct et anxiogène demandant à l’utilisateur s’il souhaite ou non être “suivi” (à droite).
Cette différence de traitement entre Apple et les autres n’est évidemment pas que théorique. Ce qui est en jeu ici, c’est la viabilité économique concrète de milliers d’acteurs indépendants du numérique : tous ont pu observer une perte de revenus substantielle depuis le déploiement de l’ATT le 26 avril dernier et continuent d’être confrontés à une concurrence déloyale d’Apple.
Compte tenu de la situation actuelle, les demandes que nous formulons à l’Autorité de la concurrence restent mesurées et répondent à l’intérêt de tous les utilisateurs d’iPhone. Il est nécessaire qu’Apple autorise la personnalisation de la pop-up ATT afin de pouvoir l’utiliser comme CMP pour le RGPD/ePrivacy, ou bien que l’entreprise permette l’interopérabilité des CMP existantes avec iOS, afin que l’utilisateur n’ait enfin plus qu’une seule fenêtre, les CMP couvrant déjà le consentement pour la publicité personnalisée.
Si Apple semble enfin respecter la loi sur la protection des données personnelles concernant son offre de publicité personnalisée, gardons bien à l’esprit qu’il lui reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour cesser toute pratique anticoncurrentielle envers le reste de l’écosystème. Il lui reste d’ailleurs aussi du chemin sur le terrain de la protection de la vie privée de ses utilisateurs, en témoigne le récent scandale mondial #spyPhone – pour reprendre l’expression d’Edward Snowden – à la suite de l’annonce du nouvel outil d’Apple (CSAM), scannant les photos de chaque utilisateur.
Avec ce premier succès de France Digitale, ainsi que la plainte sur ATT portée en Allemagne par 11 associations des médias et de la publicité ainsi que toutes celles en cours partout dans le monde, nous croyons plus que jamais en la légitimité de notre action et en nos forces pour contraindre à Apple à modifier ses pratiques et à enfin respecter les règles du jeu. Ce n’est que le début de l’histoire.
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Nicolas Rieul est président de l’IAB France et vice-président de la Mobile marketing association France, associations à l’origine avec l’Udecam et le SRI d’une plainte devant l’Autorité de la concurrence contre Apple.